http://cinema.blog.lemonde.fr/2009/12/10/outrage-et-rebellion-40-films-enrages-contre-la-violence-policiere/
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article de Ludovic Lamant dans MEDIAPART
Gisèle et Luc Meichler sont les auteurs de Jeu et sérieux, au sein du film collectif «Outrage et Rebellion».
D'où viennent ces images?
Les images ont été tournées en 1981, à l'occasion d'une amorce de film que l'on avait tournée, qui s'appelle Réserve. Une série de petits arguments, de petits synopsis, qui n'ont pas été développés, et qui sont présentés tels quels. Des bande-annonces tournées en 16 mm dans Paris, dans les arènes de Lutèce ou dans le Marais. Nous nous étions toujours dit qu'il y avait des éléments au milieu de ce film que l'on développerait plus tard, et nous les avons gardés sous le coude. Avec les événements de Montreuil cet été, il nous a semblé totalement opportun de les utiliser.
D'autant que s'ajoute le texte d'Auguste Blanqui sur l'appel aux armes...
Le texte est tiré d'Instructions pour une prise d'armes (1866) dans lequel Blanqui analyse l'échec d'un soulèvement pour donner des conseils en stratégie de lutte urbaine. C'était notre idée de départ pour le film: mettre cette proposition en parallèle avec les événements actuels. Il y a des recettes, les choses sont là. Elles existent. Plutôt que de dénoncer, il s'agissait pour nous de proposer quelque chose, d'indiquer vers où chercher.
Aujourd'hui, aller filmer ce qu'il se passe dans les manifestations est presque un geste de désespoir. Montrer les images de manifestation, de répression, bien sûr il faut le faire, ne serait-ce que pour la lecture historique de ces images, dans une vingtaine d'années. Mais c'est un geste désespéré.
Par ailleurs, le texte de Blanqui décrit très précisément le quartier autour de Beaubourg, qui à l'époque, était en plein réaménagement. Avec cet effet de décalage, entre un quartier en chantier, et l'état des lieux d'une destruction de la ville. Pour nous, ces choix d'urbanisme reflétaient totalement l'idéologie de l'époque, et ne présageaient rien de bon.
C'est le versant le plus beau mais aussi le plus douloureux de votre film : exhumer des images des années 80 pour dénoncer une répression policière de 2009.
C'est notre histoire. Ces images-là ne sont pas de vieilles images, pour nous. Elles sont restées et restent très présentes, tout au long de notre parcours de cinéastes –et de Parisiens, aussi, parce que c'est un film très parisien. Et ce n'est pas innocent de les avoir tournées en 1981.
On peut y voir une démarche intellectuelle: il faudrait aller chercher dans la désillusion des années 1980, les origines du malaise actuel...
Oui. Nous voyons aujourd'hui les résultats de nos combats de l'époque... On se rappelle toujours qu'au moment du passage de la gauche au pouvoir, nous étions joyeux. Mais voir autant d'enthousiasme dans les rues, cela nous a effrayés. Parce que nous n'avions pas la moindre illusion. Parce que cela ne pouvait être qu'un moindre mal.
La capoeira sert de référence aux luttes des esclaves pour la liberté.
C'est une danse inventée au Brésil parce que les esclaves n'avaient pas le droit de se battre. Cet interdit a donné lieu à un art martial qui s'est petit à petit ritualisé, une sorte de chorégraphie de combat. C'est un bel exemple de détournement.
Peut-on encore faire du cinéma collectif aujourd'hui?
Les films collectifs sont désormais moins fréquents. Les cinéastes travaillent tous très individuellement. Et il faut, non seulement un déclencheur fort, mais aussi l'intervention d'une personne extérieure, pour que les choses se mettent en marche. Dans les années 1970, la demande pour ce genre de films était aussi plus forte. Et je dirais que ce genre d'initiatives est plus développé à l'étranger. Dans les pays d'Europe de l'Est par exemple, où l'urgence reste plus grande.
Propos recueillis par Ludovic Lamant
et retranscrits par Dalia Hassan.
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Le 8 juillet dernier, Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, petit-fils du poète et cinéaste Armand Gatti, a été la cible d'un tir de flashball lors d'une manifestation à laquelle il participait à Montreuil-sous-bois. Blessé à l'oeil, il en a définitivement perdu l'usage. Joachim Gatti n'est pas la première victime de ces "armes à létalité réduite", dont l'usage se développe de manière inquiétante ces dernières années chez les policiers (pour les abonnés de Médiapart, l'article de Carine Fouteau publié le 9 décembre revient sur les circonstances et le contexte politiques de cette tragédie). Mais il a cristallisé une ample mobilisation, notamment dans le milieu du cinéma, contre l'usage de ces armes, et plus largement, contre la politique répressive du gouvernement actuel.
Au lendemain du drame, l'historienne et théoricienne du cinéma Nicole Brenez et la monteuse Nathalie Hubert on fait circuler une pétition qui a recueilli 2500 signatures, pour dénoncer la «spirale de la répression» et l'«arbitraire opaque» de la police. Dans la foulée, elles ont lancé un appel à projets, demandant à des cinéastes, des militants, des graphistes, des artistes, de réaliser des petits films, destinés à être diffusés sur Internet mais aussi en salles. "L'idée, explique Nicole Brenez, était de demander aux gens de faire quelque chose d'immédiat, et en image, sur les causes de cette situation : comment est-on arrivé à ce qu'une police armée tire sur quelqu'un qui n'est pas menaçant? Les films sont des ciné-tracts, sans contrainte esthétique d'aucune sorte, sauf qu'ils ne devaient pas durer plus de dix minutes".
Réunis sous le label Outrage et Rébellion, une quarantaine de films a été réalisée à ce jour. Parmi leurs réalisateurs figurent de grands noms du cinéma (radical) comme Philippe Garrel, Jean-Marie Straub,Marcel Hanoun, Lionel Soukaz, Lech Kowalski (voir le postque je lui ai consacré récemment), ou de l'art contemporain comme Ange Leccia. Luce Vigo a quant à elle accepté d'être la marraine du projet. "Parmi ceux qui se sont mis au travail, il y a des gens pas du tout politiques, pas du tout engagés, et qui ont fait des films vraiment enragés, poursuit l'intigatrice du projet. Ca en dit long sur l'état d'exaspération et sur la honte qu'il y a à être en France aujourd'hui sous ce gouvernement dégueulasse".
Pensés comme une "constellation", ouverte aujourd'hui encore à ceux souhaiteraient y apporter leur contribution, Outrage et Rébellion est diffusé à partir de ce jour, jeudi 10 décembre, à raison d'un film par jour, sur le site www.mediapart.fr (en accès libre et gratuit). Les films peuvent aussi être montrés "par grappes", au gré de programmations festivalières par exemple. Une dizaine d'entre eux sera ainsi projetée à l'Institut pour l'image d'Aix en Provence dans le cadre d'une thématique de films sur la police. "Ce qui résume l'esprit du projet, explique Nicole Brenez, c'est que cette constellation constitue un arsenal d'images avec plein d'utilisations possibles. Il y a des essais, des clips, des coups de poing, des poèmes, toutes sortes de propositions qui nous ont été transmises sous tous les formats possibles : clé USB, DVD, pellicule 16 mm, et même du 35... ce qui correspond pleinement à ce qu'est le cinéma aujourd'hui! C'est une configuration qui m'a beaucoup intéressée en tant que cinéphile. Nous allons créer une page Internet pour Outrage et Rébellion, et chacun pourra piocher ce qu'il veut ".
Une forme film est par ailleurs en projet, qui prendra la forme d'un "assemblage linéaire".
Sur Médiapart, le programme commence par Exercice de double pensée, une belle proposition de la jeune cinéasteCaroline Deruas. Le titre fait écho à la contradiction mise en scène ici entre le Code de déontologie de la police nationale, dont des passages sont lus en off, et les violences que celle-ci pratique au quotidien, dont des images sont diffusées sur le mur d'un vieil immeuble. Il fait référence à 1984 de George Orwell, dont un passage est cité, qui se tremine ainsi : "C'est en conciliant les contraires que le pouvoir peut se maintenir indéfiniment". La silhouette d'une très jeune fille dansant sur un morceau de musique punk rock, qui vient remplacer sur le mur celle des policiers en action, ouvre le film sur l'idée d'une résistance joyeuse et salutaire, la croyance dans la vitalité et la puissance de rébellion de la jeunesse.
Parmi les autres films à voir absolument, ne ratez pas : Ils nous tueront tous deSylvain Georges, très beau film sur des migrants acculés entre nulle part et nulle part dans un no-man's land à Calais, Montre oeil, Mon oeil de Gérard Courant, ciné-tract particulièrement virulent et inspiré, Jeu et Sérieux de Gisèle et Luc Meichler, d'après un "synopsis de Jean Genet" et un "scénario d'Auguste Blanqui", ni "la séquence Armand Gatti" de Philippe Garrel, le seul de tous ces films qui n'ait pas été spécifiquement réalisé pour l'occasion : c'est une scène inédite de Naissance de l'Amour tournée avec Armand Gatti qui fut finalement éliminée au montage. Je reviendrai bientôt sur ces contributions, et sur d'autres.
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Egalement programmé par
Mire: Le Lieu Unique - http://www.lightcone.org/fr/news-248-mire-projection-nomade---agir-au-cinema.html
Association Cinetic-cinéma "MACHINES EXPERIMENTALES" Université de Bordeaux 3
Scratch/Lightcone: http://lightcone.org/fr/news-266-guerres.html